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10 juillet 2018
Entrevues

Avoir un père métal, aimer les Sex Pistols et jouer avec un Stradivarius

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Hugo Mudie, Urbania

URBANIA et le Festival International de Lanaudière s’unissent pour vous faire découvrir le côté rock’n’roll de la musique classique.

Cette fin de semaine, je jouais dans un festival au Saguenay. Pendant deux jours, j’ai côtoyé la crème de la musique québécoise en buvant des vodkas-soda à volonté. J’ai lancé des barres tendres sur Julien Bernatchez et écrasé des Doritos au visage de Phil Brach. Après mon show, je suis allé «DJ-er» dans un after-party dans un bar où j’acceptais ou refusais beaucoup d’offres de consommations multiples: shooters, puffs de weed et autres poudrasses malignes. Le lendemain matin, j’ai joué au golf avec les gars du band. Weekend de rêve pour un rocker un peu fatigué de 37 ans.

Pendant ce temps, dans la même région, à quelques pas de moi; le violoncelliste Stéphane Tétreault performait du Chopin et du Debussy dans un camp musical, accompagné du pianiste Tristan Longval-Gagné. À 25 ans, il a l’âge optimal du party. À 25 ans, on est tous beaux et résistants. À 25 ans, tu penses encore que les hangovers sont une occasion de se reposer, une journée tampon et non une torture révélatrice sur la mauvaise direction de ta vie.

J’ai jasé avec Stéphane (qui fait partie de la programmation du Festival International de Lanaudière) à la fin du weekend pour vérifier si lui aussi avait écrasé des Doritos dans le visage d’un collègue backstage et pour enquêter sur la vie de tournée et le parcours d’un virtuose du violoncelle.

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Stéphane, pourquoi un si jeune homme joue du violoncelle de nos jours et non de la guitare électrique ou du drums mettons?

Je suis allé à l’école FACE dans le centre-ville et déjà à 5 ans on était très actif sur le plan artistique. À l’âge de 7 ans, ma professeure de musique là-bas voulait que je commence un instrument à cordes. Il y avait le violon et le violoncelle. J’ai tout de suite choisi le violon, parce que c’était plus familier pour moi, plus petit. Ma prof m’a laissé choisir, mais en fait elle avait déjà 20 violonistes dans son programme et 2 violoncellistes, alors elle a tout fait pour me convaincre que le violoncelle était pour moi, que c’était plus facile en descendent un peu le violon. Elle trouvait des défauts au violon pour me convaincre et je refusais. Je voulais jouer du violon. Finalement elle m’a promis un cadeau à la fin de l’année si je choisissais le violoncelle. Ça m’a convaincu (rires). Depuis ce jour-là, je suis violoncelliste.

Est-ce que tes parents avaient un background de musique classique? C’est ce qui jouait à la maison? Étaient-ils eux-mêmes musiciens classiques?

Mon père est musicien oui, mais musicien heavy métal. Il jouait de la bass pendant longtemps, a fait de la tournée, fait du studio. Quand j’ai commencé le violoncelle, il était encore actif comme musicien métal.

Tu trouvais pas ça cool comme musique? T’avais pas le goût de jouer ça?

Non en fait, je trouvais ça épouvantable comme musique. Je le dis avec beaucoup de gêne, parce qu’aujourd’hui j’adore ça. Mon band fétiche c’est les Sex Pistols… mais pas à l’âge de 7 ans. J’entrais dans l’auto et mon père écoutait du Queen ou Led Zep et je changeais de poste, j’haïssais ça. C’était vraiment le classique que j’aimais à cause de l’école Face.

Tu es souvent en tournée en ce moment, comme moi d’ailleurs. De mon côté c’est beaucoup de bars, de route, de temps d’attente, de consommations de toute sorte, d’after-party…c’tu comme ça pour toi aussi ?

( rires ) La musique classique a l’image d’être un peu mourante. Moi je ne pense pas ça. La musique classique peut être plus actuelle…et en tournée, on nous imagine… juste bons et officiels, on imagine qu’on ne fait pas le party, mais c’est pas tout à fait vrai. Oui on aime ça fêter après un concert, après des répètes… moi j’aime bien ça fêter.

Mais vous jouez souvent dans des églises ça doit quand même être plus tough comme setup pour faire le party ?

Hahaha! On va dans des restos ou des bars après. Je peux pas dire qu’on fait ça toujours, mais j’aime ça prendre le temps d’échanger avec mes collègues, mes amis sur la route…c’est très important.

Tu penses donc que c’est moins straight qu’on se l’imagine ?

Oui, oui définitivement.

Dans tes loges, y’a tu un 40oz de vodka et des chips ?

Non pas moi. Non. Je reste plus sage de ce côté là. Je ne bois pas avant mes concerts. Pour dealer avec le stress y’a des musiciens qui consomment un peu, mais en général, les musiciens classiques, ça reste straight pour jouer. Je pense que c’est plus commun dans le monde rock que tu connais que dans le classique…mais ça va arriver qu’il y a des bières dans le frigo de la loge, mais moi je touche pas à ça.

Pis y’a tu des groupies ( gars ou filles, évidemment ) ? Tsé y’a tu du monde qui capote sur vous au point de vouloir coucher avec vous sans trop vous connaitre? Le sex-appeal du stage s’applique-t-il dans la musique classique ?

Oui oui, y’a des fans extrêmement fidèles qui suivent plusieurs concerts. Ça fait plaisir de les voir. Nous on fait pas vraiment des bars. Durant nos concerts y’a pas vraiment d’alcool, donc ça rend ce genre de choses moins facile, mais dans les partys après, peu importe le style de musique…on reste quand même des êtres humains.

Souvent la crowd va être plus âgée aussi. On essaie de renouveler le public et d’avoir des personnes plus jeunes dans les spectacles, mais l’âge moyen est plus élevé que dans le rock oui. Y’a peut-être ce facteur-là aussi.

Tu joues avec un violoncelle de 1707 qui vaut 6 millions de dollars. Est-ce que ça te stresse en tournée ? Moi je perds une nouvelle affaire à chaque show…as-tu un roadie qui s’occupe juste de l’instrument ?

C’est un changement majeur dans une vie. Au début ça me stressait beaucoup, mais après 6 ans, je me suis habitué. C’est une partie importante de ma vie, mais ça ne me stress pas au quotidien. Ce violoncelle est tellement célèbre, tellement connu, avec une histoire si vaste et si riche que si on le volait, ce serait impossible de le revendre sur le marché noir. J’ai souvent quelqu’un avec moi sur la route, oui. Des fois mon père, d’autres musiciens, des amis, mais on a pas de technicien comme tel. On utilise beaucoup les techniciens dans les salles. On joue presque uniquement acoustique et je conduis mon véhicule, ou mon père conduit.

Est-ce que tu écoutes de la musique moderne, toi ?

Oui j’adore ça. Tantôt dans l’auto j’écoutais Lady Gaga. J’aime beaucoup Adèle. J’aime le jazz. Nina Simone, Billie Holiday. J’aime Edith Piaf. J’aime beaucoup Céline. J’aime sa voix, l’artiste. J’ai vu son show à Montréal. J’ai adoré ça. J’suis allé avec ma grand-maman. Après 20 minutes j’avais les larmes aux yeux. J’ai adoré ça. J’adore Amy Winehouse. J’aime Queen, Freddy Mercury.

Est-ce que des fois tu questionnes ton choix d’instrument ou de direction de carrière ?

J’suis pas mal content, j’aimerais faire de la direction d’orchestre aussi plus tard. Par contre, à l’âge de 16-17 ans y’a fallu que je fasse le choix de continuer en musique…tsé il faut payer les factures et on sait jamais comment ça va aller…mais c’est toujours une passion pour moi. J’avais beaucoup d’autres passions que j’ai dû laisser aller un peu. La cuisine par exemple, j’aurais aimé être chef cuisinier, j’aurais aimé historien, écrire des romans…y’a fallu que je choisisse. Je ne regrette pas mon choix maintenant, mais j’ai trouvé ça difficile à 17 ans.

Violoncelliste classique ou drummer punk-rock, il faut suivre sa passion à tout prix, aller à l’encontre des goûts de ses parents, faire beaucoup de route et trouver l’équilibre entre le travail et le plaisir. Le genre de musique dépend juste de qui t’a offert un cadeau pour prendre tel ou tel instrument au tout début.

« Si tu pognes la bass, j’te prête NHL 2008 »

ou

« Si tu prends le violoncelle, j’te donne un cadeau mystérieux. »

Le cadeau de fin d’année du jeune Stéphane de 7 ans était en fait des CDS de compilation de musique classique.

J’y aurais plus été avec un gun à l’eau perso, mais bon.

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