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28 novembre 2017
Entrevues

Dialogue à deux violoncellistes, Stéphane Tétreault et Jean-Guihen Queyras

Christophe Huss, Le Devoir

En tournée européenne, l’Orchestre Métropolitain a emmené deux violoncellistes. L’un est Québécois, Stéphane Tétreault, l’autre Français, Jean-Guihen Queyras. Le Devoir les a réunis pour parler de leur vie, de leur instrument et de leur répertoire.

Le voyage n’est pas toujours de tout repos pour un violoncelliste, avec son encombrant compagnon. « Je m’attends à avoir forcément des problèmes : que ce soit à l’enregistrement, à la sécurité, à l’embarquement ou aux douanes », dit Stéphane Tétreault. « Par rapport aux autres instrumentistes à cordes, nous coûtons plus cher, car il faut acheter une place pour l’Instrument », renchérit Jean-Guihen Queyras, heureux que, par rapport à ses collègues violonistes ou altistes, la place de son précieux instrument en cabine ne soit pas soumise aux aléas de l’humeur de quelque agent. Car en soute, les bris sont fréquents.

Désolé, violoncelliste à bord !

« Air Canada capture encore ton violoncelle ? », lance Queyras, goguenard, à Tétreault ? « Oui ! » Les deux artistes s’amusent de la pratique propre à Air Canada et à British Airways : « En cabine, ils mettent un grand filet autour de l’instrument, comme si le violoncelle était une bête sauvage. » Jean-Guihen Queyras mime la scène façon safari, en riant de bon coeur : « Ça vaut le coup de mettre cela dans l’article : c’est d’autant plus drôle que, leur filet, ils ont un mal fou à le fixer ; ça glisse et ça ne sert à rien, alors qu’avec la ceinture et une rallonge le violoncelle est parfaitement attaché. »

« Et à Air Canada, cela prend du personnel de maintenance spécialement formé, qui peut très bien se trouver à l’autre bout de l’aéroport, ce qui met le vol en retard », précise Stéphane Tétreault. Dans leurs voyages, toutes compagnies confondues, tous deux se sont déjà fait détester, avec des annonces du type : « Ici le commandant de bord, nous sommes en retard, désolé, mais nous avons un violoncelliste à bord ! »

Aucun incident n’a heureusement émaillé le déplacement de Jean-Guihen Queyras et de Stéphane Tétreault en Europe. Le premier joue le Concerto no 1 de Saint-Saëns à Dortmund, à Rotterdam, à Hambourg et à Paris. Le second, le Concerto d’Elgar à Cologne, à Amsterdam et à Paris.

Élégance et existentialisme

Jean-Guihen Queyras n’est-il pas un peu jaloux de voir son collègue jouer Elgar ? « La jalousie, ce n’est pas mon truc, avoue le violoncelliste français né à Montréal. On a tellement plus à gagner de l’admiration et du désir. » « C’est évident que le concerto d’Elgar a une dimension dramatique que n’a pas celui de Saint-Saëns et que, si je devais aller sur une île déserte, je choisirais le concerto d’Elgar, parce qu’il va plus loin, il est plus existentiel. Il y a une épaisseur dans la coda qui est à mettre sur le même plan que celle du Concerto de Dvorák. » Et Queyras de se remémorer une entrevue de Yo Yo Ma, où le violoncelliste s’était presque fait reprocher de jouer un concerto plutôt léger. « Yo Yo Ma avait répondu : “ Mais dans la vie, on ne peut pas toujours être profond !” » Saint-Saëns est un concerto d’un classicisme pur, très touchant dans sa pureté et sa simplicité. »

Stéphane Tétreault, qui a joué le Concerto de Saint-Saëns avec Yannick Nézet-Séguin à Philadelphie, parle d’une « expérience magique, pour le menuet notamment » et souligne que « pour Chostakovitch, le concerto de Saint-Saëns était le concerto parfait, tellement il est bien construit et tellement les mélodies sont développées de manière idéale ».

« C’est un concerto que j’adore, mais je ne suis pas jaloux, car le concerto d’Elgar m’a marqué dans ma jeunesse plus que tout autre, à travers la vidéo avec Jacqueline du Pré et, donc, le jouer en tournée avec Yannick dans de si grandes salles est un privilège. »

Découvrir l’autre

Les musiciens sont réputés pour ne guère assister aux concerts. Nous avons pourtant vu Stéphane Tétreault, en janvier dernier, au Théâtre Maisonneuve, boire du petit lait lors du récital de Jean-Guihen Queyras et Alexander Melnikov. « J’y allais pour l’inspiration. Ce n’est pas pour savoir si nous faisons un passage différemment ou s’il utilise un autre doigté ou différents coups d’archet çà et là. C’est un élément intéressant, certes, mais le but ultime est d’apprécier la vision d’un autre musicien. Et peu importent les idées musicales : quand c’est convaincant et entier, c’est toujours beau. J’ai un souvenir impérissable de ce récital-là, ainsi que des trios de Schubert renversants à Gstaad, avec Isabelle Faust et Alexander Melnikov. »

Jean-Guihen Queyras a entendu les disques de Stéphane. « Un jour, tu m’as joué quelque chose : c’était un vrai bonheur. Ce qui m’a frappé, c’est l’entièreté, le don de soi absolu dans ton jeu. Tu te plonges en entier dans la première note et on le sent ; on se dit “ ça, c’est Stéphane ”. Il n’y a pas d’artifice et on comprend pourquoi Yannick s’intéresse à toi. »

Et si chacun de nos solistes pouvait inspirer un compositeur d’aujourd’hui, de qui aimerait-il recevoir la partition d’un concerto ? Là, les goûts diffèrent. Très engagé depuis le début de sa carrière dans la musique contemporaine, Jean-Guihen Queyras fait ardemment le siège du compositeur allemand Jörg Widmann. Quant à Stéphane Tétreault, son esprit s’évade : « Si je pouvais rêver, je dirais que d’avoir un concerto d’Arvo Pärt serait vraiment génial. »

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