Transfiguration: une création absolument remarquable
François Houde, Le Nouvelliste
Le spectacle Transfiguration que présentaient la harpiste trifluvienne Valérie Milot et le violoncelliste Stéphane Tétreault samedi soir à la salle Thompson a constitué un moment de pur plaisir, un spectacle jouissif à toutes sortes de niveaux.
Il exprime, assurément, ce que peut être la musique classique pour ceux qui l’apprécient: un délice raffiné qui comble l’intelligence comme le cœur. Surtout le cœur.
Rappelons un peu le concept parce qu’il est remarquable de pertinence. Le concert n’impliquait que deux instruments qu’on n’associe pas d’emblée l’un à l’autre confiés à deux virtuoses. Les deux se sont exécutés dans un décor constitué de cinq écrans géants mais de tailles différentes imbriqués les uns dans les autres pour former une sorte de mosaïque.
Les images, magnifiques au demeurant, ont accompagné les musiciens tout au cours de la soirée, offrant à la musique un socle visuel. Des images très sophistiquées, jamais banales, qui venaient parfois mettre en contexte, amplifier le propos musical ou suggérer une avenue de rêverie. On en doit la conception aux Trifluviens Olivier Magnan et Anthony Hamelin.
Comme Transfiguration a sa propre trame narrative, les deux musiciens suivent au cours du spectacle une progression physique en se rapprochant tranquillement l’un de l’autre, au rythme de la succession des six œuvres au programme jusqu’à ce que les deux amis soient finalement réunis pour la sixième, dernière avant le rappel.
Interprètes brillants et très inspirés, ils ont donné samedi la pleine mesure de leur immense talent. Ce seul talent aurait évidemment suffi à créer un très riche concert mais en s’investissant dans un spectacle total, expression trop souvent galvaudée qui trouve ici tout son sens, les artistes en ont fait un événement musical très touchant.
Essentiellement parce qu’ils ont fait de Transfiguration un objet artistique très sophistiqué, cohérent et émouvant tout en le conservant extraordinairement accessible.
Il n’est pas inutile de mentionner que dans leur souci de développer le plus d’avenues possible, Valérie Milot et Stéphane Tétreault ont ajouté un «programme vivant», à savoir un programme disponible sur téléphone intelligent qui indique non seulement les œuvres mais qui suit le concert en temps réel, offrant, tout au cours de celui-ci, des précisions sur la musique, les compositeurs, certaines caractéristiques des pièces, etc. Beaucoup d’informations permettant de mieux comprendre la musique et l’apprécier davantage.
Grâce à une mise en scène brillante et très sophistiquée, la musique trouve un parfait écrin dans Transfiguration.
Ça pourrait n’être qu’un gadget, ça ne l’est pas. Sans doute à cause de la qualité de sa réalisation. C’est un ajout très pertinent auquel on souhaiterait avoir accès dans n’importe quel concert classique.
Une des grandes qualités de ce concert, c’est que tout l’enrobage a été mis au service de la musique. Jamais le visuel n’a pris le dessus sur les notes et l’interprétation des musiciens.
On pourrait dire que l’emballage a rendu la musique plus accessible mais ça pourrait laisser penser erronément que la musique ne l’était pas au départ. Or, les œuvres de François Vallières (Double-Monologue), Alexander Grogg (Trois variations sur La Folia et D’un cygne l’autre), Caroline Lizotte (Close for Couloir, op. 48), Marjan Mozetich (Sentiment transfiguré) et Kelly-Marie Murphy (Si veriash a la rana) étaient d’une grande beauté. Cogs for Cogs du groupe de rock progressif Gentle Giant, offert en rappel, est venu démontrer l’étendue du répertoire de deux amis musiciens.
L’appellation de musique contemporaine fait parfois peur mais Transfiguration convainc sans peine que c’est un bien bête préjugé. Il serait difficile de trouver concert de musique classique plus facile à apprécier, à savourer. Il suffit de se laisser porter.
Sans compter qu’il permet de se familiariser avec un instrument, la harpe, méconnu. Il trouve en Valérie Milot une ambassadrice exceptionnellement brillante. Pour ce qui est de Stéphane Tétreault, que dire que sa réputation n’a pas déjà couvert? Dans ce spectacle, il donne à sa renommée d’interprète un visage plus humain et d’une sensibilité franchement séduisante. La connivence entre les deux interprètes est aussi évidente que réjouissante.
Il y avait moins de 400 personnes pour assister à ce concert. C’est bien peu compte tenu du plaisir qu’il a procuré à ces privilégiés. Tout ce qu’on peut souhaiter non pas aux artistes mais au public trifluvien, c’est que le spectacle soit présenté de nouveau à la salle Thompson dans quelques mois pour que davantage d’amateurs savourent ce très beau moment de communion avec des artistes, des instruments, des compositeurs. C’est un très bel hommage à l’amitié offert dans un écrin magnifique.
Transfiguration a, en quelque sorte, pris la place d’un grand concert de l’OSTR pour le mois de novembre. La dg Natalie Rousseau était fière de son choix.
Dès le début de son projet, j’ai dit à Valérie que j’allais programmer son spectacle. Parce que c’était Valérie et Stéphane et que j’avais vu ce qu’elle avait fait avec son autre spectacle Orbis et je me disais que ce prochain projet ne pourrait être que fabuleux. Je ne me suis pas trompée.
« Comme le retour en salle du public est très lent pour nous mais aussi pour tous les orchestres symphoniques au Québec, ça nous force à faire des gros programmes qui attirent mais qui sont dispendieux. Dans ce contexte, ça semblait judicieux de laisser tomber un de nos grands concerts d’orchestre et de présenter ce spectacle à la place. »
Transfiguration a attiré une autre clientèle que celle des habitués de l’OSTR et devrait probablement contribuer à créer de nouveaux adeptes. La dg est convaincue qu’avec sa forme novatrice, cet événement sert la musique classique.
Il faut offrir des choses qui sortent de l’ordinaire. Il y a un public pour ça. Ça encourage la création, de nouveaux concepts et en bout de ligne, c’est la musique qui en sort gagnante.
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