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9 juin 2019
Critiques

Stéphane Tétreault rétablit Offenbach, en poète crépusculaire…

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Alexandre Pham, classiquenews.com

Festival CLASSICA 2019 “Les chants du crépuscule” : Stéphane Tétreault, Kateryna Bragina, violoncelles. Duos de Jacques Offenbach

Fidèle au titre du concert, « les chants du crépuscule », Stéphane Tétreault a sélectionné des climats plus schubertiens que weberiens, autant de perles qui lui permettent de creuser la sincérité de son instrument. Jamais le violoncelle n’a semblé au plus prêt de sa nature spirituelle et intime. Le violoncelliste nous réserve un Offenbach non pas léger et insouciant, mais plutôt doué d’une conscience grave voire tragique, sensible aux épanchements solitaires, au renoncement murmuré, au vertige de l’introspection parfois inquiétante… ; un poète des nuances miroitantes et lunaires surgit en place de l’amuseur des boulevards.En jouant trois Duos (n°1 et 3 opus 52 ; n°3 opus 53), la découverte s’avère splendide tant l’écriture du compositeur sait être virtuose, profonde et introspective; lyrique jusqu’à l’ivresse. Evidemment, la sensibilité et la sincérité de l’interprète permettent d’en recueillir la subtile vérité : autant de qualités qui ressuscitent la quête d’Offenbach pour un chant franc et bouleversant, parfois dépouillé et bouleversant. Celui des Contes d’Hoffmann, son grand œuvre lyrique, fantastique et noir.

Le chant dont il est question, est celui des deux violoncelles, en fusion fluide et scintillante, en dialogue concerté. Stéphane Tétreault s’il réalise souvent la partie mélodique, laisse parfois la première partie à sa consœur qu’il connaît depuis plus d’une décennie ; leur complicité et leur entente font miracle. Les timbres mêlés à la fois proches mais si distincts, n’en finissent pas de troubler comme s’il s’agissait du chant dédoublé d’un seul cœur. Le jeu les transporte aussi, en particulier dans les contrastes et les réponses des variations du premier duo pour violoncelle (opus 52 n°3) joué en ouverture. L’Adagio, – lamento funèbre et mélancolique, est un volet central qui éblouit par le chant somptueux et doloriste du violoncelle de Stéphane Tétreault dont on mesure l’infinie pudeur, le tact naturel, la souplesse articulée et accentuée, …cette élégance sombre qui saisit. Puis le galop du III (Mouvement de valse – Tempo di Marcia – Mouvement de valse) emporte et berce à la fois, dans l’esprit de Johann Strauss ; Offenbach manie la finesse, l’élégance, la parodie avec un équilibre souverain. Le violoncelliste faisant chanter son violoncelle comme un acteur lyrique doué d’une exceptionnelle articulation, comme s’il défendait un texte.

On relève le même éclat mélancolique sous le masque de la virtuosité agile dans le Duo opus 53 n°1 ; l’Adagio là encore se distingue par sa solitude extrême qui tend au dénuement, à l’épure, au repli ultime. Autant d’éclairs profonds qu’Offenbach contrebalance par un jaillissement soudain d’un grande rêverie ou d’un allegro, pétillant (finale).

Dans ce portrait d’Offenbach, en orfèvre de la matière mélancolique et lunaire, quelle belle idée d’inscrire ici, le chant crépusculaire et quasi hypnotique à deux voix, des Baroques français du début du XVIIIè ; d’abord François Couperin, souple et soyeux (Concert pour deux violoncelles, arrangement de Paul Bazelaire), d’une pudeur infinie (Chaconne) ; ensuite le moins connu encore, Jean-Baptiste Barrière (mort en 1747) à la verve opératique, quasi fantasque (Sonate pour deux violoncelles en sol majeur n°10), dramatiquement proche d’un … Rameau. C’est dire la qualité des choix défendus, et aussi la pertinence de la filiation d’Offenbach aux Baroques. La sensibilité particulière de Stéphane Tétreault, la complicité de sa consœur Kateryna Bragina font le miel de ce récital à deux voix qui vient fort opportunément renouveler notre perception d’Offenbach.

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